Une étude des archéologues anglais souligne l’interet de la détection en labours.
Article paru dans le n°64 du Fouilleur.
A l’heure où certains de nos détracteurs rêvent d’un Grand Soir où tout le territoire français serait déclaré comme site archéologique, les archéologues anglais, bien plus pragmatiques comme à leur habitude, nous expliquent qu’il vaut mieux exhumer les objets des labours plutôt que de « les laisser à étude pour les générations suivantes d’archéologues». Décryptons ensemble les conclusions de ce rapport mené par un éminent archéologue de l’Université de York accessible ici.
Une étude réalisée par un archéologue et un prospecteur
Julian D Richards est un professeur en Archéologie spécialisé dans le recensement des données archéologiques et dans les technologies de l’information. Il est l’auteur avec D. Haldenby, un prospecteur anglais, de l’étude intitulée «Charting the effects of plough damage using metal-detected assemblages» qui se traduit par «Analyser les dommages imputables aux labours sur les objets et débris trouvés par des détecteurs de métaux».
Many thousands of metal objects are retrieved from arable fields every year, by casual discovery or by treasure-seekers with metal-detectors. What is the status of this material? Here a senior archaeologist and a metal-detectorist get together to demonstrate scientifically the hostile context of the ploughsoil and the accelerating damage it is inflicting on the ancient material it contains. Their work raises some important questions about the ‘archive under the plough’: is it safer to leave the objects there, or to take advantage of a widespread hobby to locate and retrieve them?
Ce rapport scientifique se demande s’il vaut mieux laisser sous terre les vestiges archéologiques ou les exhumer compte tenu du contexte hostile des labours qui accélère la dégradation de ces objets.
Les auteurs commencent par souligner l’impact plus que positif du Treasure Act qui facilite les déclarations de trésors. Des trésors, parmi les plus célèbres outre-Manche, ont été découverts dans un état exceptionnel. Toutefois, la plupart des objets découverts dans les labours sont trouvés dans un état très abîmé. Plusieurs études anglaises confirment que les archéologues sont parfaitement au courant des dommages engendrés par les pratiques de l’agriculture moderne. Ces dommages peuvent être d’ordre chimique (à cause des pesticides) ou mécaniques (coups de herse). Avant cette étude, des ossements et des poteries avaient été étudiés.
Il existe également une étude sur l’état des fibules et notamment les différences entre les fibules trouvées lors de fouilles «profondes» et celles trouvées en terre arable, c’est à dire en terre qui peut être labourée ou cultivée.
Bien que certains archéologues stigmatisent l’utilisation de détecteurs de métaux comme «destructive», plusieurs études démontrent le contraire. L’auteur affirme même que les prospecteurs sont une source de données pouvant contribuer à comprendre les mécanismes qui amènent à la destruction de ces objets archéologiques en labours. Il faut dire que les anglais ont compris depuis plusieurs décennies l’apport des prospecteurs dans le domaine de la collecte de données archéologiques.
Les cas des épingles et terminaisons de ceintures saxonnes
Les épingles et terminaisons de ceintures saxonnes (VIII et IX ème siècles) sont la plupart du temps trouvée tordues et cassées en labours. Ces artefacts sont parmi les plus nombreux et les mieux documentés grâce aux prospecteurs. C’est donc tout naturellement que les auteurs ont porté leur choix sur ces 2 artefacts pour leur étude. Ces épingles étaient utilisées sur les vêtements, dans les cheveux ou dans les voiles de linceul. On peut se demander si les objets trouvés en détection sont abîmés «d’époque» c’est à dire qu’ils ont été jetés car cassés ou tordus et qu’ils ont terminé dans un labour. Les données analysées dans l’étude tordent le cou à cette idée reçue. De manière générale, ces deux artefacts sont trouvés complets et non tordus en fouille, alors qu’en labours, lorsqu’ils sont trouvés par des prospecteurs, ils sont beaucoup plus abîmés. Les aiguilles trouvées en détection ont souvent perdu leur patine à l’endroit où l’épingle se tord ce qui prouve que c’est un évènement récent (comme le passage d’une charrue) qui a conduit à abîmer l’objet. L’objet n’a donc pas été jeté il y a 123 siècles car il était abîmé !
Plus les objets sont gros, plus ils sont susceptibles d’être influencés par des phénomènes mécaniques et donc de s’abîmer en plusieurs morceaux. Un engin agricole a plus de chance de couper une épingle complète de 10cm en deux qu’un petit morceau de l’aiguille de cette épingle. Ainsi, les auteurs ont noté que les tailles des épingles trouvées en terre arable diminuent avec le temps sous entendant que les dommages imputables au travaux agricoles intensifs modernes sont de plus en plus conséquents, d’autant qu’il est plus facile de trouver avec un détecteur une épingle complète avec sa tête qu’un petit morceau de l’aiguille qui la compose. Cette méthode peut être appliquée à d’autres objets de diverses époques (fibules etc…).
La conclusion que nos détracteurs devraient lire
Les auteurs ont démontré que l’état des objets retrouvés dépend de l’histoire agraire des sites étudiés. Si les sites ont été cultivés de manière intense, les objets seront davantage abîmés. Les résultats attestent que les objets sont de plus en plus fragmentés avec le temps qui passe. Les labours sont donc susceptibles de complètement détruire les artefacts contenus dans les couches supérieures du labour.
Ploughing eventually causes metallic artefacts to degrade completely, and therefore recovery by metal-detection (although considered by some to be destruction) is preferable to the alternative of doing nothing.
En conséquence, l’extraction de ces objets par les utilisateurs de détecteurs de métaux est donc préférable à ne rien faire.; c’est à dire les laisser dans le sol. Rappelons que cette étude s’applique aux couches supérieures d’un champ, c’est à dire celles qui sont remuées par les travaux agricoles. Ces strates sont d’ailleurs très souvent ignorées par les archéologues car sources d’erreur potentielles. C’est pour cela que des bulldozers et des pelleteuses évacuent généralement 50cm à 80cm de terre avant d’atteindre la profondeur qu’ils souhaitent étudier. Peu d’archéologues se donnent la peine d’étudier ces remblais alors qu’ils renferment presque toujours de nombreux artefacts en rapport avec l’histoire du site. Là encore, les archéologues anglais ont compris depuis longtemps que les prospecteurs pouvaient leur faire gagner un temps précieux; c’est pour cela qu’ils utilisent ces derniers sur bon nombre de chantiers de fouille ou pour des prospections préliminaires visant à évaluer le potentiel d’un site.
En France, ceux qui faisaient appel aux prospecteurs pour les aider dans leurs recherches ont été victimes d’une chasse aux sorcières parmi leurs rangs. Ainsi les rares partenariats archéologues-prospecteurs en France sont menés de manière non officielle, et c’est une tragédie pour notre patrimoine car la perte d’information est énorme; bien plus énorme que les soit disant dommages imputables aux prospecteurs qui de toute façon ne sont pas susceptibles de dépasser la couche arable d’un labour de par les limitations techniques actuelles en matière de puissance des détecteurs de loisir.