La tombe d’Alain Fournier, auteur du Grand Meaulnes, découverte par un prospecteur en 1994
Cette fois-ci, c’est un grand moment d’histoire qu’a permis d’élucider un groupe de prospecteurs. Ils ont en effet retrouvé l’endroit où en 1914, est mort Alain Fournier, auteur du Grand Meaulnes un ouvrage majeur de la littérature française du XXème siècle. Cette recherche effectuée il y a une vingtaine d’année s’est même fait sous le contrôle de la DRAC. Voici l’histoire d’une des plus belles aventures de ces 20 dernières années.
Article paru en 2006 dans le Magazine Le Fouilleur n°2
En ce 91ième anniversaire commémorant le début des combats acharnés et meurtriers qui ont mis à feu et à sang le sol de la patrie républicaine, que ce soit en Argonne, à Verdun, à Douaumont, ou en d’autres lieux mémorables. Il était légitime de revivre une découverte faite en l’an de grâce 1994 : celle du corps du lieutenant Alain Fournier, mort au champ d’honneur, et auteur du roman intitulé ” Le Grand Meaulnes “. Ayons donc une pensée émue pour ce ” poilu ” et ses camarades de combat, qui, comme tant d’autres jeunes Français, se sont battus, baïonnette au canon, et sont tombés sous les balles des mitrailleuses allemandes. Henry Alban Fournier, dit Alain Fournier, est un romancier français, né à La Chapelle-d’Abondance en 1886, et mort au combat dans le bois de Saint-Rémy en 1914. Son unique roman, le Grand Meaulnes, rédigé en 1913, décrit le parcours d’initiation au merveilleux et au rêve du jeune Augustin Meaulnes, parti à la recherche de l’infini à travers l’amour.
L’été dernier, un groupe de quatre personnes très attachées à la mémoire d’Alain Fournier a localisé l’emplacement du combat au cours duquel il avait disparu avec ses hommes du 288ième Régiment d’Infanterie. Par le biais d’une prospection fine autorisée par le Service Régional de l’Archéologie, un prospecteur, prénommé Jean-Louis, a repéré une fosse dans laquelle semblaient reposer des soldats de la Première Guerre mondiale. Suivons à présent le fil de cette recherche posthume. Durant les années 80-90, des chercheurs tenaces tentèrent vainement de retrouver le corps de l’auteur du Grand Meaulnes, mort dans les bois au-dessus de Saint Rémy la Calonne le 22 septembre 1914, à l’âge de 28 ans. Puis en 1991, après avoir délimité précisément la zone de fouilles, Michel Algrain et son équipe de chercheurs ont mis au jour une fosse commune qui comportait vingt et un squelettes. En novembre de cette année-là, l’équipe d’historiens affirmait avoir retrouvé le corps d’Alain Fournier. Or le 2 mai 1991, à 13 heures 10 très précise, après quatorze ans de recherches menées sous la direction de Michel Algrain, Jean-Louis découvre enfin la fosse collective …
Vers 11 heures, je prends mon véhicule et me dirige vers Saint-Rémy la Calonne, après avoir traversé le joli village de Vaux-les-Palameix. Au carrefour de la Grande Tranchée de Calonne, face au monument érigé à la mémoire de l’écrivain que nous recherchons, je prends à droite, en empruntant la laie forestière dénommée la Calonne, direction Hattonchâtel. A la hauteur du chemin dit des Hautes Ornières, je m’engage à gauche dans le chemin qui mène à Dommartin-la-Montagne. Arrivé aux sapins Godfrin, je mets mon détecteur de métaux en fonctionnement et, après environ une demi-heure de prospection, je découvre dans le fossé de limite, non loin d’un point baptisé J, un étui de fusil Lebel, puis un deuxième, puis un troisième, soient en tout une bonne vingtaine d’étuis français. Je me mets alors dans la peau du sergent Baqué, en revivant son récit : Soudain une fusillade crépite derrière nous, le fossé de la lisière du bois nous offre un abri favorable d’où nous essayons de comprendre ce qui arrive… Combien de temps dure l’attente ? Une minute, deux peut-être, nous n’avons pas d’autre solution que de leur passer sur le corps si nous le pouvons… Baïonnette au canon ! crie le capitaine, en avant ! “.
Je fais le même parcours que lui, trouvant encore et toujours des étuis français épars, souvent près d’anciennes souches d’arbres. Je balise l’endroit de chaque étui retrouvé, afin de matérialiser la trajectoire, ou plus exactement l’angle de progression pris par les Français lors de leur contre-attaque en direction de la Tranchée de Calonne. D’après les tirs effectués, la direction s’incline vers la gauche. Tout à coup, je découvre des munitions françaises non percutées, ce qui signifie la présence de soldats abattus, dans ce secteur. Je repense tout de suite au récit de Baqué : ” Une fois debout, j’aperçois l’ennemi à genoux dans un fossé recreusé qui sépare un taillis de la clairière dans laquelle nous sommes. Tandis que je bondis, mon œil note tel ou tel camarade qui sans un autre mouvement, laisse tomber son fusil et s’écrase sur le sol, la face en avant… L’ennemi est à quarante mètres, nous nous arrêtons. Je trouve l’abri, derrière un hêtre, deux camarades s’approchent du même arbre, tous deux s’écroulent, sur mon dos, sur mes pieds. Ce que je pense : ils me gênent pour tirer, je dois impérativement changer de place. Les balles passent trop près, j’entends une voix éperdue crier maman, c’est le sous-lieutenant Imbert, probablement blessé à mort, je vois le capitaine de Gramont, tirer à coups de revolver sur les casques à pointe, il ne crie plus, il doit être touché. Je n’entends plus les coups de revolver que tirait à trois mètres de moi le lieutenant Fournier. Je cherche mon chef, il gît à terre sans bouger. Je tire toujours sur la crête qui borde le fossé car je ne vois plus les Boches. ” Quant à moi, je continue de progresser sur la gauche avec mon détecteur à la main, et, à une quarantaine de mètres du fossé de limite, je découvre, tout à coup, un paquet entier de huit cartouches françaises non percutées.”
J’en découvre un deuxième, puis d’autres. Je me dis alors que les corps doivent être très proches, car pour enterrer un soldat, il était plus facile de le transporter en le plaçant entre ses jambes, de manière à le tirer par les chevilles jusqu’à sa sépulture. Or pendant le combat, les cartouchières restaient ouvertes, de sorte qu’au cours du déplacement des corps, les paquets de cartouches sont tombés sur le sol et se sont dispersés. Ces munitions restées là après les combats m’indiquent par conséquent la direction d’enfouissement des corps par les Allemands. Tout à coup, j’aperçois sur ma droite une légère excavation de forme rectangulaire dans le sol. Je me dis aussitôt : Ils sont là ! Je continue donc à actionner ma poêle autour du ” trou ” et mets au jour trois étuis de revolver du modèle français 1873, positionnés à quatre ou cinq mètres de cette excavation rectangulaire, où je décide enfin d’aller prospecter… Dès que je me place dans ce ” trou “, mon détecteur sonne sans interruption. Je fais donc un sondage au centre de celui-ci et sors du sol une attache de bretelle de suspension de cartouchière française, accompagnée d’une vertèbre humaine ainsi que des fragments de tissu de pantalon rouge garance, ce qui me permet d’affirmer que les corps enfouis, à cet endroit, datent du début de la guerre, car j’y aperçois aussi la présence d’autres ossements humains. J’ai donc confirmation de la présence de corps et de tissu rouge garance. Puis je me déplace sur la gauche, en prenant de multiples précautions pour ne pas toucher ou déplacer des objets ou ossements. J’y découvre, sur le bas d’un bras droit, la présence de galons de lieutenant. A cet instant, je suis certain d’avoir de trouver le corps de l’écrivain. Je remets ensuite le terrain en état, puis repars avec mon véhicule pour en informer monsieur Algrain. L’historien me demande si, par un heureux hasard, je n’aurais pas trouvé une plaque gravée au matricule de l’écrivain.
Je repars donc immédiatement sur les lieux pour effectuer un autre sondage sur la droite de la ” fosse “. Je creuse méticuleusement et mets au jour deux bassins humains superposés, mais tête-bêche. Je rebouche alors la fouille et mesure à l’œil nu la longueur de cette excavation : approximativement quatre mètres cinquante. Par un petit calcul mental, à raison de cinquante centimètres pour un corps, quatre mètres cinquante divisés par cinquante, égalent neuf d’entre eux, et comme les corps sont superposés, cela fait dix-huit. Ce chiffre correspond, à quelques soldats près, au nombre des disparus que nous recherchons, soit vingt et un. Je ne peux pas fouiller davantage, ayant reçu simplement l’autorisation de ne procéder qu’à des sondages ponctuels, en cas de découverte. En effet, la réglementation archéo-logique sur les sépultures militaires – loi du 29 décembre 1915 – stipule que seuls les services du ministère des Anciens Combattants peuvent pro-céder aux exhumations de soldats qui doivent avoir lieu en présence d’un officier d’état civil chargé de la rédaction d’un procès-verbal. Grâce à la collaboration entre le ministère de la Culture et le secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants, une dotation exceptionnelle de sauvetage urgent, soit 35.000 francs, est accordée et les travaux débutent le 4 novembre 1991, avec la participation de la D.R.A.C. , sous la surveillance permanente de monsieur Siret, chef de secteur des sépultures militaires, de monsieur Hervet et des quatre inventeurs de la tombe. L’équipe monte une serre pour protéger le site des intempéries et installe un échafaudage de planches pour éviter tout contact avec la surface de la tombe, puis dégage la terre à la truelle. Des ” fuites ” concernant l’exhumation d’Alain Fournier le 14 novembre obligent à protéger le site, mais permettent d’obtenir un chauffage (groupe électrogène fourni par les pompiers de Fresnes en Woëvre) et un camion nacelle (prêté par l’E.D.F.) pour les photos. La fosse a une forme quadrangulaire de 5,20 m sur 2,60 m, orientée N.W./S.E., avec une profondeur de 30 à 40 cm, son fond étant constitué par une dalle de calcaire corallien. Elle contient les corps de 21 soldats français inhumés sur le dos (décubitus dorsal), disposés en deux rangées tête-bêche de dix corps chacune. Les membres inférieurs reposent systématiquement sur ou sous le thorax de celui qui fait face. Le 21ème soldat recouvre en travers cinq de ses camarades. La ” datation ” des fantassins correspond à l’été 1914, grâce aux objets retrouvés dans la fosse : à savoir des boutons en laiton décorés d’une grenade enflammée, des cartouches modèle 1886 D, un bidon d’un litre modèle 1877 appartenant au 288ième Régiment d’Infanterie de réserve, des brodequins de 1881 et 1893, et enfin des ceinturons de type ancien. Cette fosse a été creusée suivant les pratiques aux armées dès 1914. Par mesure d’hygiène, pour éviter les épidémies, on creusait une fosse collective et disposait les corps en rangées opposées, parfois sur plusieurs couches. Les identités n’étaient pas relevées, les plaques matricules et les baïonnettes disparaissaient parfois en tant que trophées, alors que les sacs à dos et livrets militaires étaient brûlés. Il fallait nettoyer et assainir le terrain sans perdre de temps, après que l’officier de renseignements eut récolté des indications sur l’adversaire. La fouille s’achève le 1er décembre 1991, et les corps sont dirigés pour autopsie au Service Régional de l’Archéologie à Metz. En juin 1992, deux communiqués publient les ” Principaux résultats de l’étude de la sépulture collective des bois de Saint-Rémy-la-Calonne “.
Le lieutenant Alain Fournier et ses camarades de combat sont maintenant inhumés dans le cimetière militaire de Saint-Rémy la Calonne (Meuse).Nous remercions Jean-Louis, l’inventeur de la sépulture d’Alain FOURNIER, auteur du livre : ” L’ENIGME ALAIN FOURNIER “, 112 pages, imprimé aux Nouvelles Editions Latines, 1 rue Palatine – 75006 – Paris. Un livre que je vous recommande. Humilité et dignité doivent être l’apanage des inventeurs de tels restes !