Archéologie: science humaine ou monopole d’état ?
Voici un excellent article paru dans le bulletin numismatique de CGB: http://www.bulletin-numismatique.fr/bn/pdf/bn130.pdf
Rappelons que Louis Pol Delestrée, ancien archéologue et éditeur des célèbres atlas des monnaies gauloises avait déjà publié une très belle tribune dès 2011 dans le Monde: http://www.viveladetection.fr/chappe/
ARCHÉOLOGIE : SCIENCE HUMAINE OU MONOPOLE D’ÉTAT ?
En mars 2011, nous avions, dans une tribune offerte par « Le Monde », évoqué l’état préoccupant de la recherche archéologique en France ; depuis lors, la situation n’a fait qu’empirer, la fracture s’étant élargie entre l’Administration et les milieux non professionnels. Rappelons les données du problème. Avant les années 1980, la recherche archéologique reposait essentiellement sur des chercheurs bénévoles compétents, très motivés et capables de mener correctement une fouille, d’en étudier les données et d’en publier les résultats.
Dans les années 1980, la recherche a été brutalement professionnalisée, au point que l’archéologie bénévole, à laquelle on devait tant, fut délibérément éliminée des structures nouvelles et que ses équipes les plus aguerries furent privées de toute initiative sur le terrain.
À présent, 98 % des fouilles effectuées en France sont préventives et relèvent pour l’essentiel de l’ I.N.R.A.P. (Institut National de Recherche d’Archéologie Préventive), établissement public dont seuls les préposés sont admis sur le terrain, tandis que les opérations programmées qui représentent moins de 2 % des fouilles et tendent à s’effacer, n’accueillent qu’une proportion infime d’amateurs bénévoles.
En outre, la mise à l’écart de l’archéologie non professionnelle devient en fait une sorte de mise à l’index dont les exemples abondent ;
La prospection par les utilisateurs d’appareils électromagnétiques est prohibée même dans les « zones blanches » sous le prétexte que certains dévoyés se livrent au « braconnage archéologique » alors que l’immense majorité de ces prospecteurs peuvent mener sur le terrain des recherches fort utiles et seraient tout disposés, comme dans d’autres pays voisins, à participer à des actions de reconnaissance et de sauvetage. Aussi bien la loi prévoit-elle une procédure d’autorisations que les autorités responsables ne délivrent plus depuis treize ans.
De même, une découverte purement fortuite devient, pour l’inventeur qui la déclare honnêtement à ces autorités, une véritable malédiction, certains services administratifs le traitant comme un délinquant en puissance au lieu d’entrer en propos avec lui et de l’associer à d’éventuelles fouilles périphériques. Les dépôts volontaires de telles trouvailles aboutissent trop souvent à des confiscations de fait suivies de tentatives de rachat par l’État à des prix dérisoires lorsque le déposant insiste pour récupérer son bien.
Il y a plus grave encore : certains milieux s’efforcent de gêner ou d’empêcher l’étude et la publication d’un matériel archéologique considérable dont le caractère « non officiel » ne leur convient pas. Au sein même du Ministère de la Culture, un organe consultatif recommandait il y a peu aux « professionnels de l’Archéologie » de ne pas se référer dans leurs publications aux trouvailles officieuses, cela au mépris de la liberté d’expression dont les scientifiques jouissent au même titre que les autres citoyens…
Ainsi, l’Administration considèrerait comme inexistantes et vouées à la disparition des données précieuses accumulées depuis des décennies.
Et pourtant, jamais à notre sens les chercheurs professionnels n’ont eu autant besoin de l’aide et de l’assistance des amateurs et chercheurs indépendants. Victimes d’un manque de moyens chronique dans tous les domaines, les archéologues les plus lucides prennent conscience de la dégradation de leur activité. Certaines opérations-vitrines livrées aux médias ne peuvent dissimuler l’arrêt intempestif de fouilles dont des extensions seraient indispensables, ni l’alarmante inflation des détériorations et destructions de monuments et de sites naguère intacts. Peu accessibles non seulement au public mais aussi aux spécialistes, des données irremplaçables stagnent dans des lieux incertains, tandis que les publications scientifiques qui devraient être la règle deviennent l’exception.
Or, un projet de loi sur les patrimoines est actuellement en préparation au Ministère de la Culture. Certaines dispositions pourraient concerner l’archéologie bénévole, qui ne doit plus être traitée par voie d’exclusions, d’interdictions et de répressions, ni surtout en fonction de la conception la plus extrémiste d’une archéologie nationale qui serait considérée comme un monopole d’État. Au delà de tout dogmatisme, il faut offrir au législateur l’occasion de mettre en œuvre des dispositions objectives et pérennes adaptées enfin au problème qui se pose dans la réalité.
Des solutions existent dans plusieurs pays de l’Union européenne notamment en Angleterre où le système du Treasure Act et son prolongement le P.A.S. (Portable Antiquities Scheme) a été mis en œuvre depuis 1996. N’en déplaise aux détracteurs patentés du système britannique dont ils ignorent souvent les règles et le mécanisme, le Treasure Act donne de très bons résultats qui viennent d’être mis en évidence dans une revue scientifique française par Roger Bland, lequel est au British Museum l’équivalent d’un directeur de Département au musée du Louvre. Le système anglais, très rigoureux sous certains aspects, permet aux autorités compétentes d’avoir connaissance d’une masse considérable de trouvailles de surface et favorise sur le terrain une fructueuse collaboration entre professionnels et bénévoles, à la différence du système français… Les scientifiques et le grand public peuvent suivre les succès du P.A.S. grâce à la publication d’un rapport annuel et à la consultation d’un site internet très bien documenté et régulièrement mis à jour.
Par ailleurs, il faut être conscient que de nombreux sites trop limités pour faire l’objet d’opérations préventives sont abandonnés aux maîtres d’ouvrage et aux pelleteuses sans avoir été fouillés ni même correctement reconnus : des équipes de bénévoles dûment autorisées par les autorités auraient à l’évidence un grand rôle à jouer sur ce plan.
En conclusion, il est hautement souhaitable de définir et d’exploiter une voie nouvelle, que bien des archéologues et de chercheurs appellent de leurs vœux, entre laxisme débridé et lobby monopoliste : vingt fois plus nombreux que les professionnels disponibles sur le terrain, les amateurs bénévoles, loin d’être bannis de la recherche archéologique, doivent y participer activement. Au sein de la « Maison Archéologie », un conflit ouvert entre des chercheurs « officiels » et « officieux » serait, pour la communauté scientifique et à tous égards, un véritable désastre qu’il est encore possible d’éviter avec un peu d’intelligence, de courage et d’imagination.
Louis-Pol Delestrée, ancien archéologue, Docteur d’État en histoire ancienne, H.D.R. de l’Université de Lyon